Le 25 octobre 2022, nous avons été reçus par le directeur des ressources humaines et des médecins du travail d’une grande entreprise japonaise. Cette entreprise est confrontée à des problématiques en matière de santé mentale et souhaite mettre en place une politique efficace de prévention des risques.

Après avoir présenté notre projet et l’objet de notre venue, nous avons échangé durant deux heures à partir du questionnaire que nous avions envoyé au préalable aux représentants de l’entreprise et des documents internes à l’entreprise qui nous avaient été transmis en retour.

Les échanges ont essentiellement tourné autour de deux thématiques :

  • Les outils internes déployés par l’entreprise, allant au-delà et s’articulant avec les obligations légales ;
  • Le choix d’une organisation interne à l’entreprise particulière, afin de renforcer les possibilités de détection de troubles liés à la santé mentale des salariés.

Sur les outils

  • Mise en place des outils obligatoires

En accord avec les dispositions légales, l’entreprise s’est dotée d’un plan de prévention de la santé mentale, lequel porte sur 4 axes :

  • L’appréhension de l’état de santé mentale des employés
  • La formation et la sensibilisation des salariés aux problématiques de santé mentale
  • L’établissement d’un système de contrôle
  • L’accompagnement du retour des travailleurs

Par ailleurs, conformément à l’Industrial Safety and Health Act, l’entreprise a nommé un Chief Safety and Health Manager. Ce salarié représente la direction de l’entreprise, il préside le comité de la santé et de la sécurité interne à l’entreprise. Il approuve la politique de l’entreprise sur les questions relatives à la santé mentale, le plan de prévention de la santé mentale et favorise la mise en œuvre de ce dernier.

L’entreprise a mis en place comme le prévoit la loi japonaise un comité de santé et de sécurité qui se réunit une fois par mois au sein de l’entreprise. A l’occasion de ces réunions, les représentants des salariés et de l’employeur échangent sur les questions relatives à la santé et à la sécurité dans l’entreprise, ce qui englobe les sujets relatifs à la santé mentale.

En outre, l’entreprise a mis en œuvre le Stress Check Program, rendu obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés depuis 2015 (le dispositif est détaillé dans un autre article, consacré à notre rendez-vous avec une représentante du Ministère de la Santé, du Travail et des affaires sociales). Ce Stress Check consiste en un questionnaire adressé aux salariés une fois par an. Les résultats sont communiqués aux salariés ayant répondu, et une consultation avec un médecin du travail est proposée aux salariés présentant un haut risque.

  • Mise en place d’outils internes

L’entreprise a déployé une large offre de formation à destination des managers et des chefs d’équipe. Ces formations doivent obligatoirement être suivies. Des formations plus spécifiquement centrées sur la santé mentale – assurées par des professionnels de santé – au profit des managers expérimentés sont également proposées afin de leur permettre d’améliorer leur connaissance du sujet et de pouvoir répondre aux situations se posant en pratique.

Au-delà du Stress Check annuel, l’entreprise a mis en place en 2018 de façon volontaire un outil quotidien, la « Note de vitalité ». Elle consiste pour le salarié à répondre à une question choisie aléatoirement parmi 10 questions (5 choix de réponses possibles), sur l’intranet de l’entreprise. Le salarié dispose de la possibilité d’ajouter des commentaires sur ce même espace, ainsi que de l’accès à son tableau de bord afin de voir l’évolution de ses réponses. Le chef d’équipe (General manager) a accès aux réponses des salariés de son équipe et peut ainsi réagir. En cas de signaux d’alerte importants, le service des ressources humaines est amené à prendre le relais (surveillance du salarié, entretiens avec ce dernier). L’entreprise insiste sur le fait que la « Note de vitalité » n’est qu’un outil supplémentaire parmi d’autres pour prévenir les risques liés à la santé mentale.

L’entreprise cherche également à garantir concrètement l’application et le respect d’un droit à la déconnexion, en imposant à ses salariés de ne pas travailler de 22h à 5h du matin. A cette fin, les lumières de l’entreprise sont éteintes et les heures de connexion des salariés sont également enregistrées et contrôlées. En parallèle, l’entreprise ne permet pas à ses salariés d’avoir des horaires flexibles débordant sur les horaires de déconnexion, sauf circonstances exceptionnelles.

Enfin, à la suite de la pandémie de COVID-19, l’entreprise a eu recours massivement au télétravail, et la pratique du travail hybride est désormais devenue régulière et ancrée dans les pratiques. Les médecins du travail de l’entreprise constatent des effets tant positifs que négatifs à la suite de la mise en place de ce dernier. D’une part, le recours au télétravail a mis en évidence une diminution du stress interpersonnel ainsi qu’une meilleure qualité de sommeil des salariés (en raison notamment de la suppression des temps de trajet souvent importants).

D’autre part, les médecins du travail ont constaté que les risques avaient changé de nature : isolement des salariés en raison du manque de communication et d’interaction avec les autres salariés ; décalage du rythme de vie ; risques majorés d’addictions pour certaines catégories de travailleurs (alcoolisme).

Afin de faire face à ces nouveaux risques, l’entreprise a mis en place un séminaire au profit des nouveaux salariés de l’entreprise. Si une difficulté apparaît, l’entreprise recommande là encore une consultation avec le médecin du travail.

Sur l’organisation interne de l’entreprise

L’entreprise insiste sur le rôle confié au HRM Director (Human Resource Manager Director). Ce dernier est nommé par le directeur d’un service et est en charge de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de ce service (lequel regroupe plusieurs équipes d’une dizaine de travailleurs).

L’entreprise a choisi de façon originale de confier un rôle central au HRM Director car ce dernier n’est pas membre de la direction des ressources humaines, il est membre d’un service et est donc en prise directe avec l’ambiance au sein de ce dernier.

Le HRM Director détient la compétence et l’autorité en matière de santé au travail dans les domaines suivants , entre autres :

  • Management du travail
  • Suivi de l’état de santé du salarié et actions de promotion (management de la santé, suivi des salariés malades, promotion de la conciliation vie personnelle/vie professionnelle)
  • Prévention du harcèlement et réponse précoce

L’entreprise insiste sur le fait que le salarié peut avoir accès par différents moyens à une prise en charge en cas de besoin : accès à une consultation avec le médecin du travail à sa demande ou sur recommandation de l’employeur ; accès à une consultation avec un psychologue (pris en charge par la mutuelle de l’entreprise) ; accès permanent à un référent interne en cas d’urgence médicale, qui après avoir écouté le salarié peut l’encourager à consulter un médecin ou un médecin du travail.

Il est important de signaler que dans ce cadre, le recours au médecin du travail n’est pas imposé, mais est seulement recommandé aux salariés présentant des facteurs de risque ou du stress.